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Jorge Zavaleta, dans les colonnes de La Primera, quotidien péruvien, dresse dans l’édition du 21 février 2009 un portrait de Rodo Tisnado, fondateur d’Architecture Studio récemment nommé à... [Lire la suite]
Son opinion sur les villes latino-américaines : «Nos villes ne sont pas inhumaines. Il arrive que leur contrôle échappe aux architectes. Le contrôle étant un problème social, les personnes qui s'occupent du bien commun sont les politiques dans des lieux démocratiques. Avant que les Espagnols n'arrivent, les cultures incas, pré-incas et autres de la région disposaient d’une administration qui s'occupait de tout le territoire. Les Espagnols ont créé d'autres villes à partir de grilles d'un kilomètre carré. Ainsi naquirent Lima, Quito, Buenos Aires, Caracas, etc. Il s'agissait pour ces nouveaux éléments d'être intégrés dans des territoires organisés en Républiques mais, depuis le XIXe siècle, le premier siècle de l'Indépendance et bien avant, ces villes ont été des champs de batailles entre chefs civils et militaires».
La migration est la fuite du paysan, le phénomène est universel. «Personne ne peut vivre indépendamment dans un hameau, il faut se déplacer. La campagne sert à alimenter la ville, ce n'est pas un lieu de richesses à conquérir. Les villes demandent la collaboration de politiques, de géographes, d'économistes. Tout le monde doit intervenir. Et, logiquement, il revient aux urbanistes de faire le tracé concret. Les citadins quant à eux abdiquent en faveur de leurs dirigeants, lesquels doivent rendre viables toutes les exigences des habitants pour faire de la ville un lieu attractif ».
Les mouvements sociaux des années 70 et 80 du siècle passé ont été des mouvements de désespoir et ont été intensément étudiés mais «le pouvoir politique n'a pas réussi à prévoir ces flux humains. Tout le monde sait qu'il faut aller en ville car il est impossible de vivre dans la Puna*, dans des endroits inhospitaliers».
Invention européenne
Quelles expériences européennes contemporaines peuvent être appliquées en Amérique Latine ? Rodo répond que l'architecture latino-américaine est une invention européenne. Au Pérou et dans notre région, il y a des dizaines d'architectes qui n'ont besoin de rien en dehors de projets à réaliser. Leurs désirs ne sont ni plus ni moins ceux de n'importe quel architecte de par le monde, qu’il soit à Paris, à Pékin ou aux Etats-Unis.
Rodo est du même avis que ses camarades d'études : le Pérou des années 60 a bénéficié de conditions extraordinaires pour le développement de l'architecture. «De cette époque à aujourd’hui, les conditions se sont dégradées. Nous nous sommes retrouvés avec un Etat à l'origine de gaspillage et d'informalité. Les budgets pour l'Education ont été reportés. Face à la croissance de la libre entreprise, l'éducation est, elle-même, devenue un commerce. Cuba avec un haut niveau d'éducation est un pays où l'Etat se charge de l'éducation. Les universités du pays ne devraient pas faire autre chose que promouvoir la culture. Aujourd'hui, elles sont aussi informelles que l’est le trafic dans les rues. La seule chose qui doit être libre, c'est la presse», remarque-t-il.
L'architecte, s'il dessinait avant pour une élite, doit désormais, avec son travail, donner des conseils sur les phénomènes nouveaux : «nous devons dessiner des logements et des villes en accord avec la réalité. [...]. Les transports doivent trouver une solution communautaire, mutualiste parce qu'il est impossible de trouver, en ce cas, une solution individuelle. Les vieux tramways ont été une réponse ingénieuse que la General Motors a remplacé par des véhicules à essence».
Rodo reconnaît que les régimes autoritaires peuvent être à l’origine de nombreux travaux et donner ainsi du travail mais il n'y a aucune liberté pour la création. Il signale que, durant la dictature du régime de Odria**, dans les années 50, des édifices comme le stade national et les ministères de l'Education et de l'Economie du Pérou ont été construits par des architectes qui se sont convertis en mauvais constructeurs.
La Chine a connu une augmentation des investissements dans le secteur de la construction, mais il relève que le pays n’a pas encore la capacité créative et, par conséquent, les Chinois invitent les meilleurs architectes du monde à les aider. «Pour les olympiades de Beijing, nous avons participé à un concours mais nous n'avons pas eu la chance de gagner. A Shanghai, nous avons aménagé le site de l'Exposition Universelle 2010 qui a duré six mois à l'instar des expositions de Montréal ou de Séville. Une fois qu’ils disposent de la base programmatique, les Chinois savent construire. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est générer plus que faire, refaire et produire».
Il convient de réaliser l'architecture d'aujourd'hui. Ceci n'est possible qu'avec un esprit ouvert, une disposition qui vaut pour les architectes, peintres et artistes en général. «A Bassora, Irak, il faut tout reconstruire. Cependant, dans ce pays, il existe un ministère des sports et de la jeunesse qui nous a consulté pour la reconstruction d'un stade olympique comme faisant partie de la modernisation d'un pays dévasté, où sont déployées des troupes de diverses latitudes, y compris péruviennes», remarque Rodo lors de son arrivée à Lima, où il a participé à la XIIIe Biennale d'architecture péruvienne, juste après avoir voyagé à Bagdad.
Jorge Zavaleta
La Primera
Pérou
21-02-2009
Adapté par : Jean-Philippe Hugron
* La Puna, région de la Cordillère des Andes dont les conditions climatiques sont extrêmes.
** Manuel Arturo Odría Amoretti (1897-1974), président du Pérou de 1948 à 1956, porté au pouvoir par un coup d’Etat militaire.
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